Mezkal
- papierbulles
- 15 mars 2022
- 3 min de lecture
Kevan Stevens & Jeff / Soleil Éditions, 2022, 186 p.
Un road-movie au milieu du Mexique, de la poussière, de la fureur, du rugissement incessant des moteurs des motos, des camions, des 4X4 et du crachat des flingues. Couleurs acides, dessin névrosé, galerie de personnages bien allumés – genre psychopathes ! accès de violence brute - genre frénétique ! Le résultat ? un pavé au visuel qui décoiffe, structuré sur les piliers d'un scénario bien barré !

Ça commence dans un quartier rouge sordidos à souhait. Junkies, prostituées (outrageusement tatouées), marins saouls, épaves, clochards, telle est la plèbe qui le compose. Au-dessus d'une porte, au bout de la rue, des néons lumineux forment un nom - celui d'un club : Mezkal. Un accord de guitare, et Vananka Darmont s'arrache à son rêve récurrent dans un cri, après la traditionnelle chute qui va avec. Ensuite, douche / café / clope (= très bizarrement roulée), puis, via le métro, direction Chicago Downtown jusqu’au bureau. D’où il se fait virer (= clope trop bizarrement roulée). Sa mère carbure au cocktail cachets / alcool. Fatal. Ainsi la trouve-t-il morte sur son lit lorsqu’il rentre chez eux. Son héritage ? « un sacré paquet d’emmerdes et 31 000 $ d’impayés ». Et la guitare de son père (= « zéro nouvelle depuis trente ans »). Il se sent « comme une ombre, un courant d’air qui ne ferait que traverser son époque ». Après l'enterrement de sa mère, la six cordes en bandoulière (+ un sac et le costume qu’il porte), Vananka prend la route pour El Paso, Cuidad Juárez (donde busca trabajo, pero no hay trabajo), Tijuana (« dès que je suis arrivé dans cette ville, trois opportunités assez cool se sont présentées à moi : me buter, me faire buter, ou me barrer le plus rapidement possible »), en stop, à pied...en galère. Les choses semblent s’adoucir lorsqu'il rencontre Leïla, son petit frère Matéo et leur grand-père ; mais l'accalmie idyllique s'avère de très courte durée - genre éphémère ! ah ben y reste encore 158 pages…

Back dans les bacs
Comme dans Gun Crazy (écrit avec Steve D), Jeff, cette fois-ci complice de Kevan Stevens, nous entraîne de nouveau tambour-battant dans un road-movie au scénario bien déjanté et au graphisme halluciné (c'est de l'auto-plagiat, je me suis piqué ça dans la chronique de Gun Crazy, mais faut pas l’dire). Le degré de qualité visuelle de cet album tape dans le lourd ! C’est incontestable. Ce n’est pas un parti pris, mais une évidence. Le graphisme seul est déjà impressionnant. S’ajoute à cela le travail sur la couleur, qui remet vite les idées en place ! Viennent enfin les prises de vue et le gros-œuvre du découpage des planches. Les cases sont explosées et explorent plus ou moins toutes les possibilités offertes à qui sait de quoi il parle (avec pleines pages et doubles planches psychées à mort ; si les auteurs avaient voulu rendre hommage à l’œuvre de Philippe Druillet, ils auraient tout à fait pu s’y prendre ainsi !). Une BD donc pleinement dédiée à l’illustration, mais pas que. Sans tomber dans le redondant ni user par trop de superlatifs, qui de fait deviendraient pour l’occasion pléonasmes, (il m’est) difficile de parler du scénario sans avoir recours à des termes utilisés ici ou ailleurs de nombreuses fois auparavant (déjanté, halluciné, etc) ; cependant, c’est tout de même dans cette mouvance qu’on pourrait classer ce récit...s’il n’était pas inclassable, ou peu s’en faut. Ici, parfois, les animaux aussi émettent un commentaire, en second plan (« Le poids de cette société m’écrase complètement », dixit un cafard écrabouillé sur une table).

Humour grinçant, jeux de mots volontairement lourds, script et dessins outranciers...vous reprendrez bien un verre de Mezkal ?
Fred.
10 bulles
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