Judas, de Jeff Loveness & Jakub Rebelka / 404 Éditions (2024)
Après « Jésus Christ Superstar » (pour les plus jeunes, un opéra-rock de 1973), voici Judas Iscariote Super-Héros. Ou tout du moins, héros à part entière. Que seraient les saint-hommes sans les damnés ? La lumière sans l’obscurité ? Les gentils sans les méchants ? Les grands sans les petits ? Le sel sans le poivre...ok, ok, vous avez capté le concept hein ? C’est l’angle de cette BD.
Pour trente deniers, Judas a vendu Jésus. Ensuite, il s’est pendu. Désormais, auréolé de ténèbres, il est aux enfers.
Tirées des évangiles, des citations bibliques (Ezéchiel, Ésaïe, Apocalypse, Jean) ponctuent ce récit qui fait également référence à la genèse, aux mythes et aux légendes ; de celles qui opposent le Bien et le Mal (Goliath, présenté comme un monstre, alors qu’« au bout du compte, il n’est rien qu’un soldat de plus, se battant pour le mauvais camp », ou Pharaon, se noyant « dans des océans de sang et d’orgueil », lorsque les flots se referment sur lui et son armée, après que Dieu ait envoyé « les fléaux sur son peuple », etc,etc).
« En apparence leur forme était humaine, mais chacun d’eux avait quatre faces et quatre ailes » (Ezechiel 1:5-9)
Le scénario s’articule selon le point de vue de Judas, à mesure qu’il descend aux abîmes. Au fonds du gouffre, il y a des monstres bien répugnants, dignes de Lovecraft, des morts-vivants menaçants, vindicatifs, accusateurs, qui rejettent et stigmatisent Judas, « homme de douleurs, et familier du tourment. » (Ésaïe 53:3)
Rapidement se dévoilent ses doutes, ses désillusions, et la tristesse latente qui l’accompagne ; autant de ressentis qui ont étiolés, puis profondément fissurés sa croyance et sa dévotion. Jusqu’à sa trahison.
« Et il y eut une bataille dans le ciel » (Apocalypse 12:7)
Mais n’a-t-il jamais existé que dans ce but ? Ceci n’était-il pas sensé se produire ? N’était-ce pas là, justement, sa destinée, sa damnation ? Et Jésus savait-il dès le début qu’il en serait ainsi ? Judas est-il parano ou Dieu a-t-il besoin d’un vilain pour justifier ses actes ?
Il y a aussi les voix. Celle de Jésus, bien sûr, la parole qu’il a toujours essayé de suivre ; et puis la voix dans sa tête - Judas est-il schizo ? celle de l’ange aux ailes noires, qui démonte avec précision les dis du Christ, soulève la question de la cruauté de Dieu et assène inlassablement la/sa vérité.
« Comment es-tu tombé du ciel, Ô Lucifer » (Apocalypse 14:12)
Jakub Rebelka présente là un travail de grande qualité. Plus que le graphisme seul, la mise en couleurs donne à Judas toute sa dimension dramatique, voire iconique. Il y a de la matière, de l’épaisseur. Dans les galeries souterraines, la tonalité de bleu/gris est profonde, sombre, froide. Par opposition, évidemment, les rouges sont ceux du feu, du sang, de la révolte, des batailles divines. Et de la chute de l’ange déchu…
8/10
Fred.
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