Un récit dépaysant...

De S. Dahmani. Ed. Steinkis, 2017.

Après dix ans passés en France, Sujin est de retour en Corée.

A travers le regard de cette traductrice coréenne accompagnant dans ses négociations un Français, Daniel, arrivant à Séoul, la BD pose d’abord les questions suivantes : Quand on a connu un ailleurs pendant longtemps, se sent on « chez « soi » de retour chez soi ? Comment se réapproprier les codes de sa propre culture et se fondre dans le modèle traditionnel coréen quand on a connu autre chose ?

Ce premier album est d’une telle qualité narrative qu’il arrive à nous faire oublier un dessin noir, griffonné et déroutant, expressif malgré tout.

Pris dans la bulle de ces deux personnages émouvants et totalement saisi par le chemin et les questionnements de cette femme, on se laisse embarquer dans un duo à la relation progressant, tranquille, délicate, ou la pudeur s’estompe peu à peu pour faire place aux confidences. Malgré cette lente progression de leurs échanges, on se sent pris dans une évolution habile et touchante de l’histoire et on ne veut plus quitter ces deux personnes très attachantes.

La pression sociale écrase l’héroïne sous le poids d’une exigence entêtante : Toujours pas mariée à 33 ans, elle subit les commentaires incessants de son entourage et surtout de sa mère, elle-même enlisée dans ses inquiétudes et ses repères. On angoisse pour et avec Sujin.

Dans ce rapprochement nourri de respect et d’écoute, on voudrait en savoir toujours plus, et à la fin de l’œuvre, on espère une suite (pas du tout prévue hélas) pour mieux connaitre Daniel et savoir ce qu’ils vont devenir l’un et l’autre.

Les pointes de couleurs dans ce fouillis noir et blanc augmentent le propos d’une émotion supplémentaires, elles sont une vision, exprimant tour à tour le masque (qu’on porte en société), la langue, le soi parmi les autres.

Un récit dépaysant, d’une fluidité naturelle, malgré un trait laborieux, cette BD est une vraie réussite.